Biographie Jacky Beigneux
Jacky Beigneux tranche dans le cru. Ses couleurs sont fortes, incisives comme une injonction… Elles s’imposent. Elles se montrent sous toutes les coutures. Elles retiennent le regard sur le tableau. Elles coupent net toute tentative de ne pas regarder le détail de la toile, de ne pas voir ce qui n’est pas bleu, ou jaune, ou rouge.
Une couleur Beigneux, c’est presque dérangeant. C’est vindicatif aussi.
Ses couleurs se démultiplient : en réalité, il n’y a pas un bleu Beigneux, mais des bleus Beigneux. Des bleus qui contrastent entre eux aussi violemment que le feraient un rouge agressif et un vert acide accolés.
Ses couleurs se déclinent au pluriel. Ainsi, tout peut être bleu – le bois, les fleurs, un pot e terre cuite, un feuillage, ou une guitare – tout est pourtant différent.
Qu’importe la couleur d’ailleurs : le bois peut aussi bien être violet âpre, jaune intense, rouge vigoureux.
Tout en réalité, est fonction des rapports de force qui sous-tendent le tableau, et qui, de façon impalpable, torturent les objets représentés.
Les objets simples qui peuplent les tableaux de Beigneux ont certainement bataillé ferme pour trouver chacun sa place sans être déformé, ni avoir à souffrir – peut être pour l'éternité – d'un emplacement périlleux. Les mois, les années passent, chacun doit justifier sa présence, s'affirmer toujours plus. Au bout du compte, c'est une lutte permanente, à qui sera au premier plan.
Pourtant, le motif est le plus souvent statique… une nature morte emprisonnée dans un carcan à la géométrie complexe et anguleuse. Une violence contenue par des barreaux, des planches, des murs.
Les formes ne s'adoucissent que lorsqu'elles veulent exprimer la vie.
La vie déguisée sous des parures de clowns engoncés dans leurs habits toujours propres, nets, comme neufs. La vie rendue non visible par ces artifices bariolés qui empêchent l'œil de percer la croûte picturale.
Mais le plus souvent, la vie est évoquée avec parcimonie, sous une forme en réalité factice: fleurs coupées, masques de carnaval, entassements d'atelier, vieux bidons, cartons vides, traces d'activités humaines abandonnées, figées dans la poussière d'un appentis comme chose que l'on remet sans cesse au lendemain.
Une peinture de Beigneux, c'est comme le temps suspendu, comme une attente sans objet, un passé perdu. Elle est même balafrée de stries, de raies, parfois dures comme des cicatrices. Elle est marquée de rides multiples, certaines discrètes, la plupart denses, comme sur une peau fragiles.
Sous l'épiderme fripé par places, le temps qui passe est – comme la lumières – présent, tendu, prêt à sourdre par les espaces qui sont restés libres de contraintes colorées.
Bernard Rabine